dimanche 6 juillet 2008

Critique littéraire:Amour de la poésie, poésie d’amour

Ces dernières années, la poésie kabyle connaît un renouvellement très important. De plus en plus de poètes, même ceux qui ont le plus baigné dans la tradition orale, écrivent leurs poésies et les publient sous forme de recueils. Parmi eux, Méziane Aïzaf vient d’éditer, à son compte, Iceqfan n wul [Débris de cœur]. "Iceqfan n wul" fait partie des titres porteurs de signifiance. L’expression connote un présent en débris, sombre et chaotique qui présuppose un passé plus ensoleillé. Paradoxalement, ces débris de cœur prennent la forme de poèmes à même de redonner le sourire. Le titre fait penser aux Fleurs du mal de Baudelaire. La douleur enfante ainsi de beaux poèmes. Deux citations sont mises en exergue. L’une est de l’écrivain autrichien Stefan Sweig, l’autre du poète kabyle Lounis Aït Menguellet. Toutes deux rappellent la place du poète qui, au lieu d’être banni de la cité... doit être, au contraire, réhabilité. Car la poésie est le refuge le plus sûr pour la langue. "C’est d’abord chez les poètes, écrit Zweig, que vous devez entendre parler la langue, chez eux qui la créent et lui donnent sa perfection…". De son côté, Aït Menguellet compare la parole poétique à un grain de blé qui se multiplie...Am uɛeqqa n yired yettfukti Mkul amkan deg-s yemɣiYefka-d tigedrin aṭas… Tel un grain de blé qui prolifère,Il pousse en tous lieuxEt engendre plein d’épis… Ces citations informent du double héritage dont se revendique le poète M. Aïzaf. S’il reste fidèle à son terroir en déclarant ouvertement son admiration pour un poète des plus consacrés en Kabylie, il n’en souligne pas moins la nécessité de s’ouvrir aux autres littératures pour enrichir la sienne. Le passage par l’Autre est souvent la meilleure façon de se connaître soi-même. En tout cas, c’est ce qui semble ressortir de l’introduction. Le recueil est préfacé par Saïd Chemakh, militant brave et invétéré et acteur indispensable de la vie culturelle amazighe. Ce dernier, au lieu de verser dans les louanges -une pratique habituelle dans les préfaces – opte pour un commentaire général sur la poésie et le poète et le rapport de l’un et de l’autre à la langue...Sur le plan thématique, l’amour, sans être exclusif, occupe une place prépondérante. L’interview réalisée par Saïd Chemakh avec le poète a déjà donné aux lecteurs un avant-goût de sa conception très novatrice de ce poète. A travers les 28 textes qui composent le recueil, l’amour forme un beau bouquet offert en hommage à la Femme. Aïzaf plaide, en féministe déclaré, pour une expression plus abondante de l’amour. Il dit à ce propos : "En chassant l’amour de notre poésie, nous chassons notre jeunesse de notre langue et une langue qui perd sa jeunesse est une langue vouée à la disparition" (Cf. l’interview) Aïzaf rêve d’écrire un poème d’amour à la mesure de "Ne me quitte pas" de J. Brel. En attendant ce poème-là, le texte "Ḥemmleɣ-kem" (Je t’aime, femme) est un bel hommage aux femmes qui peuplent les rêves des hommes et qui sont leur seul et unique secours quand ils n’ont pas le vent en poupe…Certains motifs de la poésie traditionnelle sont présents dans la poésie de Meziane, comme les formules d’appel (ay adrar...) ou encore les motifs géographiques qui rappellent la poésie de Si Mohand. Néanmoins, cela n’en fait pas une poésie traditionnelle. La subjectivité individuelle occupe une place importante et se soustrait à la loi souvent coercitive du groupe social. Les traductions en français sont l’œuvre de l’auteur. Mais, ce dernier est conscient qu’elles ne peuvent pas rendre totalement la beauté du texte originel. Ainsi, même si les sentiments comme l’amour sont des plus universels, leur expression est spécifiquement culturelle. Traduire les spécificités culturelles, voilà qui n’est pas chose aisée ! La question reste posée : Faut-il impérativement insérer les traductions françaises dans les recueils de poésie berbère

 

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